Le droit national est il en mesure de répondre aux défis climatiques du Cameroun? Ci4Ca, Juillet 2022

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Contexte

La lutte contre les changements climatiques fait partie des enjeux prioritaires de notre siècle. Les risques que font peser les changements climatiques sur l’humanité sont de telle sorte que les instances dirigeantes du monde sont amenées à s’activer pour endiguer ou limiter ce danger qui pèse sur l’humanité. Pour ce faire, les principes ont été énoncés pour la protection de l’environnement. C’est le cas du principe de la responsabilité commune mais différenciée proclamé dans la Déclaration de Rio. Selon ce principe, tous les Etats, chacun en fonction de ses capacités, sont tenus de protéger l’environnement en général et lutter contre les dérèglements climatiques en particulier.  Le Cameroun a souscrit à cet engagement et s’est doté d’un équipement juridique de lutte contre les changements climatiques. Quel est le contenu de ce corpus juridique ? Est-il appliqué? En guise de réponse, nous allons parcourir les différents instruments juridiques applicables en matière de changement climatique au Cameroun d’une part et les défis liés à la mise en œuvre de ces instruments d’autre part.

À l’international, le Cameroun a ratifié plusieurs textes dont :

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques du 09 Mai 1992[1], dont l’objectif ultime est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique.

La Convention Cadre des Nations Unies sur la protection de la Biodiversité : Avec ses 03 objectifs de conservation de la diversité biologique, d’utilisation durable de la diversité biologique et de partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, la Convention sur la Protection de la Biodiversité est intériorisé au Cameroun par l’existence d’un point focal auprès du Ministère de l’environnement et la déclinaison des projets de protection des espèces fauniques et floristiques.

– La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD)[2]. Dernière des trois conventions de Rio adoptées, son objectif est de lutter contre la désertification et d’atténuer les effets de la sécheresse dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique, grâce à des mesures efficaces à tous les niveaux, appuyées par des arrangements internationaux de coopération et de partenariat, dans le cadre d’une approche intégrée compatible avec le programme Action 21, en vue de contribuer à l’instauration d’un développement durable dans les zones touchées[3]. Les projets à l’instar de l’AFR 100 en cours au Cameroun se déploient sous cette Convention.

 

– L’Accord de Paris de 2015[4] ayant pour objectif de limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel.

 

Au niveau national, la question du climat est traitée dans  des lois, règlements, programmes et projets.

En ce qui concerne les lois, il convient de relever que, pour l’instant au Cameroun, il n’existe aucune Loi spécifiquement dédiée à la lutte contre les changements climatiques. Cependant, on pourrait s’appuyer à l’échelle nationale sur :

La loi N°96/12 du 5 août 1996 portant gestion de l’environnement, loi-cadre en la matière, consacre une section à la protection de l’atmosphère[5], dans l’optique de prévenir la production des GES.

La loi N°2021/ 014 du 09 juillet 2021 régissant l’accès aux ressources génétiques, à leurs dérivés, aux connaissances traditionnelles et le partage juste et équitable des avantages issus de leur utilisation. Elle met en place un mécanisme de promotion et de valorisation des savoirs traditionnels en vue de permettre aux communautés détentrices de connaissances de tirer les bénéfices y relatifs sous forme monétaire ou non. Elle assure la protection des droits de propriété intellectuelle des communautés relatives aux connaissances traditionnelles.

-La loi N° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche qui devrait participer à la protection et la conservation des forêts, lesquelles constituent des puits de carbone. La révision de ce texte fait l’objet d’incessants plaidoyers.

Quant à l’aspect réglementaire, il existe quelques décrets et arrêtés. A titre d’exemple, l’on peut citer les décrets portant création de certaines institutions compétentes dans la lutte contre les changements climatiques. C’est le cas des :

Décret N° 2009/410 du 10 décembre 2009 portant création, organisation et fonctionnement de l’Observatoire National des Changements Climatiques (ONACC)[6].

Décret N°2008/064 du 04 février 2008 fixant les modalités de gestion du Fonds National de l’Environnement et du Développement Durable. Ensuite, il convient de noter le

Décret N°2011/2582/PM du 23 août 2011 fixant les modalités de protection de l’atmosphère.

Dans la même veine, le Cameroun a mis sur pieds plusieurs programmes et plans dans la politique nationale de riposte contre les changements climatiques. Nous pouvons citer ici:

  • Stratégie Nationale de Développement 2030 (SDN30)

La SDN2030 est la boussole du gouvernement en matière de développement. Il remplace le Document Stratégique pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) qui ne prenait pas en compte les questions environnementales et climatiques. La SND 2030 intègre le changement climatique dans sa mise en œuvre. Du moins, l’on s’en tient au 3e chapitre de la deuxième partie, l’Etat entend renforcer les mesures d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique et la gestion environnementale pour une croissance économique et un développement social durable et inclusif[7].

  • Contribution Déterminée au niveau National 2021 (CDN 2021)

Prévue par l’art 4.2, 4.9, 4.11 de l’Accord de Paris sur le climat, la CDN est un document qui décline les engagements des Etats parties en faveur du climat. Le Cameroun s’est engagé à réduire de 35% ses émissions de GES à l’horizon 2030 avec 2010 comme année de base, à raison 12% inconditionnel et 23% conditionnel. Le Cameroun dans la CDN 2021 a revu à la hausse son taux de réduction qui était de 32% dans la version antérieure. Les secteurs prioritaires sont : AFAT (agriculture, foresterie et autres affectations des terres), Energie, Déchets.

  • Le Plan national d’adaptation aux changements climatiques (PNACC)

Officiellement lancé le 15 Juin 2012 à Yaoundé, ce document constitue un guide de référence qui définit les actions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique à l’échelle nationale. 2 communications dont la dernière date de l’an 2021 ont été publiées. L’ensemble des actions à mettre en œuvre se décline en quatre axes stratégiques à savoir : Axe stratégique 1 : Améliorer les connaissances sur les changements climatiques ; Axe stratégique 2 : Informer, éduquer et mobiliser la population camerounaise pour s’adapter aux changements climatiques, Axe stratégique 3 : Réduire la vulnérabilité aux changements climatiques des principaux secteurs et zones agro-écologiques du pays ;Axe stratégique 4 : Intégrer l’adaptation aux changements climatiques dans les stratégies et politiques sectorielles nationales.

  • La stratégie de Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière (REDD+)

Il s’agit d’une initiative internationale qui vise à lutter contre le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par la dégradation, destruction et fragmentation des forêts. Son principe est de rémunérer les pays en développement et émergents via des contributions provenant des pays industrialisés, que ce soit par le biais d’un marché ou d’un fonds. La stratégie REDD+ du Cameroun a deux principaux objectifs à savoir : d’une part, réduire les émissions de gaz à effet de serre et surtout le CO2 issues de la déforestation et de la dégradation de forêts à travers la lutte contre les causes directes et indirectes de la déforestation et de la dégradation des forets et l’augmentation et le renforcement son stock de carbone sur le territoire national ; Et d’autre part contribuer à l’atteinte de l’objectif de développement. Le Cameroun dispose depuis quelques années d’une stratégie nationale REDD+.

  • Les communications nationales sur les changements climatiques

Quoique n’ayant pas de valeur juridique probante, ces documents informatifs confectionnés sous l’égide du Ministère chargé de l’environnement présentent la stratégie de réponse de l’État camerounais aux problématiques d’atténuation des émissions de Gaz à Effet de Serre et d’adaptation aux changements climatiques. La stratégie du Cameroun est ainsi centrée sur le développement technologique, la technologie étant considérée comme l’épicentre du “système” de management des problématiques climatiques. A ce jour 2 communications ont été publiées.

 

L’adoption des instruments juridiques de lutte contre les changements climatiques par le Cameroun traduit la volonté du pays à s’armer pour faire face à la menace. S’il est vrai que  ce cadre semble étoffé, il n’en demeure pas moins vrai que sa mise œuvre se heurte à de nombreuses difficultés :

  • Une perception mitigée de la menace climatique

Pour beaucoup fussent-ils de la classe politique, administrative ou simplement populaire, le changement climatique reste encore un mythe. Les textes et stratégies adoptées ne font donc pas pour beaucoup l’objet d’une véritable appropriation.

La lutte contre les changements climatiques est considérée comme une préoccupation de trop. En effet, le Cameroun comme la plupart des pays en développement fait face au défi de réduction de la pauvreté[8]. L’objectif de réduction de la pauvreté n’ayant pas encore été atteint, on a du mal à admettre que vienne s’ajouter celui sur les changements climatiques.  Oubliant ici la corrélation entre les 02 maux, on assiste à la relégation du secteur climatique au dernier rang au profit des domaines jugés prioritaires.

  • Un corpus juridique constitué de textes épars

La réglementation du secteur climatique au Cameroun est encore embryonnaire et pourrait déjà faire l’objet de nombreuses critiques. L’absence d’une loi exclusivement consacrée au changement climatique serait pour certaines doctrines un frein à des actions effectives et efficaces.

 

  • Une insuffisance des moyens financiers, techniques et technologiques

La mise en œuvre des programmes de lutte contre les changements climatiques au Cameroun nécessiterait un budget d’environ 12 785 milliards pour l’atténuation et 15 928 milliards pour l’adaptation. Un cout qui fait inéluctablement appel à une forte mobilisation toujours attendue conformément à la promesse de 100 milliards de versement annuel aux pays en voie de développement dès 2020[9].

Les énergies renouvelables, la gestion durable des déchets, le reboisement, sont entre autres des d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques qui nécessitent d’importants moyens techniques et technologiques. Le Cameroun ne jouissant pas encore de telles expertises, garde quelque part la main tendue pour bénéficier et recevoir ces solutions aujourd’hui climatiquement approuvées.

Il faut souligner à double traits que sont limités les moyens d’observation de l’évolution du climat[10], les instruments d’observation de la météo, d’atténuation des émissions de GES et d’adaptation aux effets des changements climatiques. Son corolaire est le déficit de connaissances précises en matière climatique. Or, la lutte contre les changements climatiques passe par la maitrise les données météorologiques, lesquelles permettent le suivi de l’évolution du climat.

Le Cameroun est engagé dans la lutte contre les changements climatiques. Pour ce faire, il a ratifié un certain nombre de conventions et adopté des textes qui encadrent le domaine. Afin de parvenir à ses objectifs, des programmes ont été mis sur pieds, mais l’État malgré sa volonté affirmée se heurte à de nombreuses difficultés au rang desquelles l’absence de moyens nécessaires pour implémentation des politiques climatiques.

[1] C’est la première structure de coopération internationale majeure, opérant dans le cadre de l’ONU, reconnaissant l’existence et les impacts du changement climatique.

[2] Elle a été adoptée à Paris, deux ans après le Sommet de Rio, le 17 juin 1994, et est entrée en vigueur le 25 décembre 1996, 90 jours après réception de la cinquantième ratification. 197 pays font partie de la CLD

[3] Article 2 de la convention.

[4] C’est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties lors de la COP 21 à Paris, le 12 décembre 2015 et est entré en vigueur le 4 novembre 2016.

[5] Il s’agit de la section I du chapitre III. L’atmosphère est en réalité une couche de l’espace déterminante pour le climat. Car elle est composée de gaz qui constituent le phénomène climatique.

[6] Cet organe a pour principales missions de collecter, de traiter et de diffuser l’information sur l’évolution du Climat au Cameroun.

[7][7] Stratégie Nationale de Développement 2030,2e partie, chapitre 3, page 75.

[8] A titre de rappel, le Cameroun est un pays en développement avec un Indice de Développement Humain moyen. En réalité selon l’Human Report 2007 l’indice du Cameroun se situait à 0.51 sur une échelle de 0 à 1 en 2014. Voir Jean-Herman GUAY (dir), Perspective Monde http://perspective.usherbrooke.ca/ consulté le 19 juillet 2022.

[9] En 2009, à la Conférence climat de Copenhague, les pays riches s’étaient engagés à porter à 100 milliards de dollars par an en 2020 l’aide aux pays pauvres pour la lutte contre les changements climatiques.

[10] Actuellement, on ne dénombre que vingt stations automatiques dans tout le Cameroun.

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